1864, construction d'un nouveau lavoir à Parfouru

" Tant qu'y aura du linge à laver"
"On boira de la manzanilla
Tant qu'y aura du linge à laver
Des hommes on pourra se passer
Et tape et tape avec ton battoir
Et tape et tape tu dormiras mieux ce soir"

  (Refrain des lavandières du Portugal)
Au lavoir de Parfouru les femmes ne buvaient pas de manzanilla, ce vin ibérique liquoreux et un peu amer. Elles se passaient peut-être des hommes ... mais de battoirs et de langues nos lavandières étaient sans doute bien munies.

   En 1851, l'Assemblée législative décrète l'attribution de subventions pour la création de lavoirs municipaux, dans le cadre d'une politique de salubrité publique. L'Etat octroie une somme globale de 600.000 F pour aider les communes qui veulent installer des bains et lavoirs publics. Il faut attendre 1862 pour que le Conseil municipal de Parfouru vote une première dépense de 175 F pour la construction d'un lavoir. En mai 1863 il propose une imposition extraordinaire d'un montant de 300 F. Le vote interviendra en mai 1864.
C'est ainsi que ce jour de mai 1864, le Conseil municipal décide de construire un lavoir à Parfouru
   A la différence du moulin, du four et du pressoir, attachés aux anciens impôts et redevances dus au seigneur, le lavoir symbolise l'utilisation gratuite de l'eau pour tous les habitants de la commune. Il devient ainsi après la révolution, le lieu où chacun a accès à l'eau, le plus précieux bien naturel.
Au XIXème siècle à Parfouru comme ailleurs dans nos communes rurales, l'adduction d'eau est un rêve inaccessible. C'est tardivement, en 1968 seulement, que l'eau coulera pour la première fois au robinet ...
En attendant cet heureux jour il faut se contenter de l'eau de son puits quand on en possède un, ou le plus souvent de l'eau des fontaines :
"Il n'y avait pas l'eau courante à cette époque, ceux qui n'avaient pas de puits allaient le plus souvent la chercher à la Fontaine Boisarde, au bas du chemin. L'eau fournie par la pompe en haut n'était pas potable et ne servait que pour les barriques. C'était une belle source que la Fontaine Boisarde ! On dit qu'elle guérissait des feux de la Saint-Jean, du zona. L'eau de la source, c'était pour l'eau potable, on descendait avec deux bidons à lait, 13 kg vides, 33 kg pleins ; le cheval attelé à la vachère attendait là-haut, puis on faisait un second voyage ..."

   1. Le temps des lavoirs à Parfouru
   Le promeneur qui passe devant un lavoir rénové et sauvegardé ne reste jamais indifférent car l'image des lavandières est toujours présente à l'esprit. Le martèlement des battoirs de nos grand-mères a cessé, comme se sont tus leurs éclats de rire et leurs bavardages. Le souvenir de nos aïeules, poussant à grand peine leur brouette de linge, mérite le temps d'une promenade à Parfouru : quatre lavoirs et une fontaine jalonnent les chemins de notre village.
     - Le lavoir des Beaux
" Je suis arrivée à Parfouru en 1933 et ce lavoir était encore utilisé : il servait aux quelques personnes qui vivaient dans ce hameau ; la femme du père Bidel (le cantonnier municipal)s'en servait, Fernande Lemière aussi : ils habitaient au bord de la route, 2 maisons accolées pour Fernande, une autre à côté pour les Bidel. Ils ont tous été expropriés et ces 2 maisons ont été détruites pour la construction de l'autoroute qui n'est jamais passée ici ! Vous pouvez encore voir un pan de mur, c'est tout ce qui reste aujourd'hui de cette histoire scandaleuse. La banquette en pierre permettait de travailler debout, on y posait le linge pour le savonner et pour le battre. Par la suite ce lavoir a servi pour laver les voitures car il est alimenté par une source intarissable : on venait remplir 10 bidons et quand on revenait pour le second voyage, on retrouvait toujours l'eau au même niveau. Ce lavoir, qui, en même temps, servait d'abreuvoir pour les bestiaux, a été endommagé pendant la guerre et il a été ensuite remaçonné".

     - Le lavoir du bas de Parfouru
Ce lavoir n'existait pas en 1912 malgré le vote d'un crédit de 100 F en 1911 destiné à sa construction. Le 8 avril 1912 le Conseil regrette le retard de cette réalisation.
"Le lavoir du bas était moins utilisé que celui de l'église, d'abord parce qu'on y travaillait à genoux. On y voyait souvent Alphonsine Niard, la grand-mère de Mme Hervieu, mais aussi la femme d'Alphonse Havard, les Lunel et les Martin ...
Tous nos lavoirs étaient alimentés par une source très puissante qui se trouve de l'autre côté de la voie ferrée et passe en dessous. Ce ruisseau de Parfouru est grossi par d'autres petites sources et ne tarit jamais. Même en 1976, année de la première grande sécheresse, l'eau n'a jamais manqué et les gens des communes voisines venaient remplir leurs barriques à Parfouru. C'est la même eau qui alimente aussi les douves du château".

     - Le lavoir de l'église
Le 16 juillet 1905 l'abreuvoir communal doit être pavé. Des travaux de terrassement et de maçonnerie doivent être faits à ce lavoir et à l'abreuvoir des Beaux, conformément aux décisions antérieures du Conseil. Le maire dépose un devis estimatif dressé par Mr Bertaux Désiré, maçon à Parfouru, s'élevant à la somme de 712, 25 francs.
"Ce lavoir était le plus fréquenté, je ne l'ai utilisé qu'une année car je suis arrivée à Parfouru en 1933. Dès 1934 nous nous sommes installés au Moulin et j'avais la rivière. Je me souviens des femmes qui travaillaient ici comme Berthine Niard ou sa cousine Germaine Niard qui lavait aussi pour nous, car il y avait des laveuses, c'étaient des journalières qui avaient aussi d'autres activités mais elles étaient avant tout laveuses. Je me rappelle de Berthine Marie qui habitait en haut de Montaville, elle allait laver le linge à Epène (Epinay) chez la famille Lénault. Elle y allait à pied, passait par chez nous, montait en face par un chemin qui est perdu maintenant. Elle n'emportait pas de matériel, on trouvait ce qu'il fallait dans les maisons des employeurs. Ce lavoir était aussi très utilisé par les gens d'Epinay, comme les Vaultier, fermiers domiciliés à l'époque au Mesnil Hermier, qui y venaient régulièrement car celui d'Epinay était très bas donc inconfortable : ils venaient une fois l'an avec une charrette, mais pour le rinçage seulement car si les femmes venaient parfois laver, on utilisait sourtout le lavoir pour rincer".

     - Le lavoir du château
Le château était également pourvu d'un lavoir, utilisé par les domestiques, ...

     - Réparations et petis aménagements au fil du temps
En janvier 1952,
le Conseil demande au Maire de donner pouvoir à l'association de reconstruction de Villers-Bocage pour effectuer tous les travaux de dommages de guerre restant à faire aux trois lavoirs communaux. Ce travail n'entrant pas dans le cadre des compétences de l'association, le Conseil demande en août que les lavoirs, dommages de guerre ou pas, soient réparés au plus tôt et prie Mr le Maire de s'entendre avec l'entreprise Fromont de Villers-Bocage.
Le 20 mai 1953,
le Conseil considérant que le bas des piliers du lavoir de l'église est en mauvais état, demande à Mr le Maire de s'entendre avec un entrepreneur pour les réparer au plus vite.
En 1956, la pompe de la Fontaine Boisarde est vérifiée par la maison Marie, celle du lavoir a été améliorée. Un devis est demandé pour l'installation d'un tuyau à la pompe du lavoir pour accélérer le débit d'eau. Il faut informer Mr Brière que la source est bouchée par le ciment et insister pour qu'il vienne au plus vite faire le travail nécessaire.
En 1957, la réfection du mur du lavoir est effectuée par Mr Louis Martin.
En 1959, une capture d'eau au lavoir, au moyen d'un réservoir et de tuyaux pour remplir les barriques, est réalisée par Mr Lebret, plombier à Villers-Bocage. Le coût s'élève à 32.860 francs avec la réparation de la pompe.

   2. Lessives et lavandières
     - Avez-vous vu les lavandières ?
   Mais deux fois l'an, au printemps et en automne, avait lieu la grande lessive qui nécessitait beaucoup d'efforts vu la quantité de blanc qu'on devait laver ces jours-là.
   "Je me souviens que chez mes parents, à Maisoncelles-Pelvey, la lessive était faite deux fois par an. Le linge sale en attente était suspendu au fur et à mesure dans un grenier, posé sur des perches en hauteur, retenues près du plafond par du fil de fer, à l'abri des rongeurs car il était entreposé là jusqu'à la prochaine grande lessive.
   Quand le grand jour arrivait, on utilisait une grande cuve en bois au fond de laquelle on disposait une couche de cendres, de pommier de préférence, la meilleure ! Une grosse toile de chanvre était placée pour isoler le linge de la cendre de bois. Le linge des trois maisons était ensuite disposé sec dessus, bien tassé et on ajoutait de l'eau tiède d'abord puis de plus en plus chaude. L'eau était chauffée dans un chaudron en fonte posé sur un trépied dans la cheminée. A la base de la cuve était fixé un tuyau qui par gravitation ramenait l'eau doucement vers la chaudière où elle était réchauffée avant d'être puisée à l'aide d'un "pucheux", sorte de casserole de 5 litres à long manche de bois et reversée sur le linge. La lessive se faisait donc avec de l'eau toujours chaude. Le système fonctionnait comme ça toute la journée : le linge était décrassé, lavé. A la fin du travail, la cendre était devenue compacte, formant la "carrée" qu'on allait jeter.
Ce linge devait être amené ensuite au lavoir où il était battu longuement puis rincé abondamment avant d'être à nouveau transporté et mis à sécher".
   Travail épuisant vu la quantité et le poids de ce linge trempé, manipulé de nombreuses fois. Le séchage se faisait sur des cordes, sur les haies d'aubépine ou sur l'herbe des prés. On comprend l'importance attachée autrefois aux trousseaux des futures maîtresses de maison et le rôle des monumentales armoires à linge si bien garnies de draps et autres nombreuses pièces.
   Au XVIIIème siècle, le développement de l'hygiène entraîne un développement de la profession de lavandière qui est très éprouvante à cause du vent, du gel, de l'humidité. " On a ses jupes toutes mouillées dessus et dessous" écrit Victor Hugo dans Les Misérables et la tuberculose sévit ...

Le lavage se faisait à la main ... et on se changeait toutes les semaines, le dimanche. Les vêtements, crasseux après une semaine de pénible labeur et donc de transpiration avaient bien besoin de rafraîchissement. Dans chaque foyer, on disposait du matériel nécessaire pour mener à bien cette opération courante, à savoir la "barque" en bois garnie de paille ou d'un coussin pour s'agenouiller sans trop d'inconfort, le battoir lui aussi en bois et bien sûr le savon. Le lavage des vêtements s'effectuait de façon hebdomadaire à domicile et on ne se rendait au lavoir que pour le rinçage.
Le battage   La barque
      - Le linge parle
   Le bruit de leur caquetage couvrait presque le martèlement de leurs battoirs ... "Vous voulez apprendre des nouvelles ? Allez donc au lavoir !" affirmait en chaire le curé de Longvillers.
"C'est ici, du matin au soir,
Que par la langue et le battoir
On lessive toute la Ville.
On parle haut, on tape fort,
Le battoir bat, la langue mord !
Pour être une laveuse habile,
Il faut prouver devant témoins
Que le battoir est très agile,
Que la langue ne l'est pas moins."
  Achille Millien
C'est ici que s'installe au coeur du village, le "Parlement des femmes", équivalent du café des hommes : Les lavandières colportaient les cancans et autres histoires plus ou moins croustillantes de la vie du village.
"Tiens ! Elle change encore ses draps ? Et pourquoi donc ?" ou encore "Elle lave ses serviettes, ce n'est donc pas pour cette
fois-ci !"
"Lieux de commérages par excellence, au lavoir les femmes s'épiaient pour laver le linge de maison et leur linge intime". "Beaucoup de légendes courent sur les lavandières qui lavaient la nuit, car on disait qu'elles se cachaient pour laver leurs péchés".
Michèle Carminade - "Linge, lessive et lavoirs" - Ed. Christain

   
  Le lavage Le battoir  

     - "Et tape et tape avec ton battoir"
   "Je suis arrivée au Moulin en 1934, je ne suis donc plus allée au lavoir puisque je pouvais laver à la rivière ... Il y avait un escalier bordé d'un muret qui descendait jusqu'à la rivière, et en bas une grande dalle, bien plate, servait à battre le linge.
Mais ce jour-là l'eau était bien haute et j'étais installée plus haut sur ce muret avec le battoir que m'avait fabriqué le père Rouelle, le mari de l'institutrice. Le temps était noir, mais vilain, vilain ! Mme Balonnet quittait le Moulin avec un sac de 50 kg de farine d'orge installé sur le cadre de son vélo, elle marchait à côté de sa bicyclette bien sûr, je la regardais partir. Elle n'était pas encore bien loin quand le coup de tonnerre est parti, un seul coup mais tellement brutal ! ... Je n'ai pas compris comment, mais je me suis retrouvée sans battoir dans la main, je ne l'ai jamais retrouvé, l'Odon l'aura sans doute emmené".
... Ainsi disparut la dernière pièce à conviction de notre enquête !

   3. Lavoir ... dernières !
 
Le lavoir de l'église a de nouveau subi les outrages du temps ... A la suite de demandes pressantes, le Conseil a décidé la rénovation du site. Avec l'aide du SIVOM et grâce aux compétences de l'employé communal, notre lavoir est en travaux, il ne sera plus défiguré par l'affreux tuyau qui le traversait et qui sera déplacé sur le côté. Le mur de soutènement et d'arrivée d'eau est rénové. Une autre tranche de travaux a été prévue avec demande de devis pour la couverture en ardoises qui est aujourd'hui en piteux état, mais les élections municipales ayant lieu au printemps, la décision d'engager ou non ces travaux relèvera de la nouvelle municipalité issue des urnes.
 
  Le lavoir hier ... ... aujourd'hui en cours de travaux  

A suivre ...

M. Lucas / J-F Sehier - avec les témoignages de Hélène et Jean Gaillard et l'aimable participation de MT Moiré