J'entends siffler le train
III. 1906 - 1938 ... Heures de gloire et déboires
1906, " le train-train de la ligne Caen - Vire "
   Indifférence, curiosité ou hostilité ? ... Au temps des premiers chemins de fer, les gens de nos campagnes n'ont que faire de ce nouveau mode de transport. Seuls les industriels flairent le profit futur en abaissant leurs frais de transport. Nos ruraux sont plutôt préoccupés par les chemins vicinaux :
 "Pourvu que le chemin de fer ne coupe pas mon champ en deux !" ou "s'ils barrent le chemin, comment vais-je rejoindre ma parcelle ?".
   
Mais les paysans de notre bocage vont bientôt changer d'avis ...

1. Le désir de rail à partir de la fin du XIX ème siècle :
   Les productions vont bientôt s'exporter à moindre coût ; ainsi le monde rural prend peu à peu conscience des avantages économiques que procure le rail.
   
Le besoin de rail grandit à la fin du XIX ème siècle et au début du suivant. Les municipalités envoient des voeux pathétiques et répétés aux Conseils généraux. Chaque village veut sa voie ferrée et sa gare. Incapables de satisfaire financièrement toutes ces demandes, les Conseillers généraux sont contraints d'établir un schéma de lignes prioritaires.
   Les communes du bocage ne font pas exception à la règle et entendent bien profiter des progrès du rail ainsi que l'ont montré les délibérations du Conseil municipal de Parfouru (lire la partie précédente)
 
  Sur la ligne Caen-Vire au fil des gares
 
Verson Noyers Villers Aunay Jurques Saint-Martin

2. L'âge d'or du marché de Villers-Bocage
   
La création de la ligne Caen-Vire, comme celle de la route royale un siècle plus tôt, va favoriser Villers :
     Villers-Bocage : embarquement des bestiaux
   " La nouvelle situation acquise par Villers exerce l'influence la plus bénéfique sur l'extension du marché. Le bourg s'impose comme un grand centre d'expédition vers toute la France de bovins de race normande destinés à la fourniture en lait et à la reproduction. En effet, le commerce essentiel est alors celui des vaches amouillantes, c'est à dire des vaches prêtes à vêler pour la première fois et à fournir ensuite du lait. Elles sont destinées aux étables des "nourrisseurs" qui abondent près des grandes villes".

 
Les animaux vendus à Villers-Bocage, et embarqués par le train, proviennent des environs immédiats de la ville (10 km autour du bourg), des régions de Caumont-L'éventé et Saint-Martin-des-Besaces, de tout le Sud-Ouest du département et du sud de la Manche.
 

   "Les bestiaux embarquent en gare de Villers sur 200 mètres de quais. La moitié des bestiaux quittant le Calvados partent de Villers où 150 à 180 wagons sont formés chaque semaine. La plupart des embarquements ont lieu le jour du marché : 2 trains complets de 40 à 50 wagons chacun, et quelques wagons accrochés aux trains de marchandises réguliers qui rejoignent Caen l'après-midi, soit 100 wagons en moyenne sont chargés chaque mercredi, chaque wagon ayant une contenance maximum de 8 gros bovins. Les animaux ne voyagent pas seuls : un "embarqueur" les accompagne".

3. 1906, la belle époque du train
   - L'importance de la gare de Villers

Un ancien de la S.N.C.F., René Dubois racontait :
" Employé des chemins de fer de l'Ouest à Beuvron en Auge, mon père a été nommé à la belle époque des princesses du rail. Il y avait chaque jour quatre arrêts de trains de voyageurs et deux passages de trains de marchandises. La ligne allait jusqu'à Vire. Le mercredi les chemins de fer de l'Ouest faisaient circuler deux trains de marchandises supplémentaires à destination de Villers-Bocage. Des centaines d'animaux de boucherie transitaient par Verson ..."

   - Les chemins de fer de l'Ouest : horaires et tarifs (octobre 1906)


4. Premiers déboires, un avenir qui s'assombrit
   Certains se souviennent probablement des lourdes barrières en fonte qu'il fallait manoeuvrer au passage de chaque train, en les tirant à la force des bras pour les ouvrir et les fermer ou, plus tard, en actionnant une manivelle pour les monter ou les descendre, manoeuvre particulièrement pénible par temps de neige ou de gel qui bloquait facilement le mécanisme.

Accident à Dampierre en 1911

Nombre de ces croisements devenaient dangereux et les incidents firent bientôt la une des journaux.

Document ci contre : lire

" ce qu'il reste de l'accident survenu au courrier de Dampierre le 3 avril 1911. Sa voiture a été tamponnée et réduite en miettes par le train allant sur Amagne vers 4 h 1/2 ".


   La présence de gardes-barrières était indispensable, ces emplois étant le plus souvent réservés aux épouses des agents des compagnies. Ils étaient logés sur place dans des maisons construites toutes sur le même plan : une grande cuisine carrelée occupait tout le rez-de-chaussée. On y trouvait la cheminée de la maison, une pompe et sa pierre à eau, un escalier menant à la cave. En haut deux chambres et un grenier, à l'extérieur, une remise. ... Plus tard, les barrières automatiques, en augmentant les coûts, allaient améliorer la sécurité.

A la veille de la première guerre mondiale, les créations de lignes sont quasiment terminées.

Ce texte est la troisième partie du thème " J'entends siffler le train " qui comprend chronologiquement :
1. 1869-1886   " Le Bocage rêve de chemin de fer "
2. 1886             " Le cheval de fer à Parfouru " 
3. 1906-1938   " Heures de gloire et déboires "
4. 1939-1972   " Agonie et fermeture d'une ligne "

J-F Sehier / M. Lucas