1793 : Jeux de chemins, jeux de vilains !
(ou l'histoire tourmentée du chemin au Roy)
          " Ce petit chemin qui sent la noisette "
Ce jour là, Louis Caillot, maire de Parfouru, Germain Caillot et Michel Baudel, officiers municipaux de la paroisse, sont bien soucieux : des chemins utiles à toute la communauté sont devenus impraticables. Le maire a reçu jour après jour maintes réclamations. Ils sont dans l'obligation de réagir ...
... C'est ainsi que ce 11 février 1793
 
Oh les vilains ! 11 février 1793 - an II
   Le lundi 11 février 1793, an II de la république, le maire et les officiers municipaux de la paroisse de Parfouru se réunissent sous la présidence du maire Louis Caillot pour délibérer à propos de plaintes adressées par différents particuliers contre les "citoyens" Jean Le Canu (parfois appelé Canu) et Guillaume Launey, son gendre.
Jean Le Canu possède une pièce de terre nommée Le Parc. Elle jouxte le Chemin au Roy, chemin aussi ancien que la paroisse. Cet individu s'est arrogé, depuis plusieurs années, le droit de le détériorer et de planter dedans une haie vive qui le rend complètement impraticable. Ce chemin utile à toute la paroisse, maintenant inutilisable, est la cause de nombreuses réclamations.
Guillaume Launey, lui, est propriétaire depuis dix huit mois environ d'une pièce de terre le long du chemin de Villers ou route de Bretagne. Cette pièce longe d'un côté le chemin de Villy. Dès l'acquisition, ce triste sire abat la haie qui borde le chemin de Villers pour labourer et en plante une autre sur le chemin même, agrandissant ainsi sa parcelle. Suite aux plaintes reçues par la Municipalité, il est convoqué pour s'expliquer. Il ne peut donner aucune justification à son méfait et accepte donc d'arracher la haie qu'il a plantée à tort. Sa bonne volonté lui évite une sanction.


   Fort de son impunité, le sieur Launay ne tarde pas à endommager à nouveau le chemin qu'il rétrécit à sa convenance. C'est pourquoi le conseil excédé décide unanimement d'autoriser le procureur de la commune à traduire les sieurs Lecanu et Launey devant le juge de paix du canton.

Savez-vous planter les ch'mins ? 3 mars 1793 - an II
   Le trois mars suivant, Nicolas Guérin en sa qualité de procureur de la commune s'adresse aux maire et officiers municipaux :
   " La loi vous attribue la police des chemins publics et veut que vous veilliez à ce que tout le monde y puisse trouver sûreté en y passant, et il est de votre compétence de réprimer tout ce qui pourrait tendre à les détériorer, les rétrécir, à les encombrer, à empêcher le passage sûr et commode... C'est pourquoi vous devez et pouvez faire droit sur des plaintes ..."

 
    " Vous savez, citoyens, qu'il existe dans cette paroisse un chemin public appelé le chemin de Villers ou Route de Bretagne tendant de cette paroisse à Villers. Ce chemin utile au public ... est maintenant presque impraticable, Guillaume Launay, marchand habitant de cette paroisse en a depuis quelques temps rendu l'usage aussi difficile que dangereux et même presque impossible. En effet, citoyens ..., le dit Launay a rétréci le dit chemin pour en agrandir sa pièce, il l'a encombré dans la partie restante de quantité de grosses pierres qui infailliblement confèrent des chutes tant aux commis qu'aux bestiaux. "
 

   " De pareilles entreprises, citoyens, sont des plus répréhensibles et contraires à la loi. C'est pourquoi le procureur de la république requerre qu'il sera fait défense au dit Launey de continuer à rétrécir à l'avenir le dit chemin, qu'il sera condamné à arracher une quantité prodigieuse d'arbres plantés les uns dans le chemin, les autres n'ayant que la racine dans la pièce du dit Launey, qu'il a fait pencher sur le chemin, le traversant dans toute sa largeur ... et que pour les contraventions par lui commises, il soit condamné à l'amende prescrite par le code rural en pareil cas, en outre à rouvrir, déblayer, rendre praticable, et remettre de la même largeur qu'autrefois la dite route sous l'espace de quinze jours, faute de quoi le procureur de la commune, autorisé à y faire travailler et à y employer la quantité d'ouvriers nécessaires pour rétablir la dite route, sera autorisé pour les payer à obtenir condamnation du dit Launey, sur les simples mémoires qu'il produira signés des dits ouvriers ... "

Vu le présent réquisitoire il a été ordonné à Guillaume Launey de se présenter le jeudi suivant à la maison commune.

   Le 7 mars 1793, à 6 h 30 du matin s'est présenté le dit Launey. Il est donc condamné à détruire sous quinze jours l'entreprise qu'il a faite sur le chemin en question et à remettre les choses en même et semblable état qu'elles étaient auparavant, faute de quoi le procureur de la commune autorise des ouvriers à intervenir aux frais du dit Launey.

Touche pas à mes pommiers !
   Le 19 mars 1793, les officiers municipaux et notables de la paroisse de Parfouru sur Odon se sont transportés, à la réquisition de Louis Caillot, sur une pièce de terre lui appartenant, située dans la paroisse : Louis Caillot a fait planter depuis peu de temps une rangée de pommiers composée de 18 pieds : un malfaiteur en a coupé huit à hauteur de terre d'un pied ! Louis Caillot ne peut dénoncer ce mauvais sujet sans preuves suffisantes, mais a tout lieu de se méfier de quelqu'un qui a été accusé de " crimes " semblables ... et qui a même, il y a quelques années, " attenté à sa vie sur une route ".
   
Le 17 avril 1793, le maire et les officiers municipaux s'assemblent en la maison commune. Nicolas Guérin en sa qualité de procureur de la commune annonce :
   " Citoyens, il existe dans cette paroisse un chemin public appelé le Chemin au Roi, ce chemin connu sous ce nom et ayant été toujours praticable pour charrues, charrettes et toutes autres voitures depuis un temps immémorial et même reconnu dans le chartrier pour le plus ancien de la paroisse de Parfouru sur Odon, prenant son origine au douit Mathan et se perpétuant, toujours charriable, jusqu'à la grande route de Caen en Bretagne et qui est très nécessaire à différents particuliers pour exploiter leur héritage, également à différentes paroisses pour arriver à la grande route, lequel même était destiné par vous pour faire le chemin vicinal de la paroisse si ce n'est que quelqu'un d'entre vous a observé que le sol en était trop montueux."

Le chemin au Roi prend son origine au "Douit Mathan", ruisseau alimentant  le lavoir. Les Mathan ont été propriétaires du château.
Ce chemin "montueux" débute près du lavoir  et longe la pièce cadastrée "le Parc".

Le nommé Jean Canu a détérioré ce chemin, s'est emparé de la majeure partie, en a agrandi sa pièce de la longueur de 35 perches ou environ, le long d'une pièce à lui appartenant nommée le Parc, a planté dans le susdit chemin quantité d'arbres de toutes espèces, y a également planté une quantité de saules et même d'anciennes souches de frêne et autres bois. Je ne lui connais aucune pépinière où il puisse lever toutes ces différentes plantations ; on me porte tous les jours différentes plaintes, les uns que leurs baliveaux sont coupés, les autres leurs graines déracinées et endommagées, d'autres que leurs bois sont totalement détériorés, que quantité de souches en sont enlevées, que les baliveaux en sont pour la majeure partie arrachés ...
   Un cri unanime s'élève dans toute notre paroisse ... tout individu doit trouver sûreté en passant dans les chemins publics, que je dois requérir contre Canu qui ne s'est pas contenté d'avoir pris la majeure partie du chemin dont il est question mais a creusé la partie restante, en a fait un lieu périssable pour que personne n'y puisse passer et par la suite s'emparer du reste ...
... de pareilles entreprises sont contraires au bon ordre et des plus répréhensibles et même enfreignent la loi qui vous attribue la police des chemins ... Le procureur de la commune requiert de vous qu'il sera fait défense à Canu de continuer de rétrécir le dit chemin, qu'il sera condamné à arracher tous les arbres qui sont en très grand nombre, également que les souches de frênes et autres bois, non seulement à arracher toutes ces plantations, mais à remettre toute la masse de terre qu'il a enlevée dans le dit chemin afin de mettre de la même largeur qu'autrefois ... le tout sous l'espace de huit jours au plus tard parce que différents particuliers m'ont dit qu'ils ont besoin d'y passer avec leur voiture incessamment et que pour cela il soit condamné à une amende conformément au code rural faute de quoi le procureur de la commune autorise à y travailler et à y employer la quantité d'ouvriers qu'il jugera à propos pour rétablir la dite route et sera autorisé pour les payer à obtenir condamnation sur le dit Canu ..."

Canu devra donc se présenter à l'audience du 25 du présent mois à sept heures du matin et être entendu.

Les vilains sont toujours punis !
Le 25 avril 1793, à sept heures du matin, se présente à son tour le dit Canu au sujet du Chemin au Roi dont il s'est en partie emparé.
   Il est condamné, sous l'espace de huit jours au plus tard, à arracher les arbres qu'il a plantés dans le chemin, à y remettre la masse de terre qu'il a enlevée, le remettre charriable et de la même largeur qu'autrefois.
Jean Canu accepte la remise en état du Chemin au Roi. Il est condamné à trois livres d'amende.
   Ce même jour, son gendre, Guillaume Launey, se présente vers neuf heures du matin. Il demande de différer l'exécution de la sentence jusqu'au mois de novembre suivant, moment favorable aux plantations, où il remettra le dit chemin tel qu'il était autrefois, ce qui lui est accordé. Par contre, il paie l'amende le jour même.

En 1830, le chemin du Roi " trop montueux " ne deviendra pas chemin vicinal de la paroisse : en 1830 il sera privatisé, acheté par Jean Armand Bellissent.

L'empreinte de l'ancien chemin au Roy apparaît encore dans le paysage actuel. Ici, il rejoignait le chemin du Parc aux Prêtres.
Une section de cet ancien chemin est aujourd'hui empruntée par  la voie communale n°1 (VC 1) qui rejoint toujours la " grande route de Caen en Bretagne " (D 675).

J-F Sehier / M. Lucas