J'entends siffler le train |
IV. 1939 Agonie et fermeture de la ligne |
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1.
Années noires et déclin - Méfiance et défiance (1906-1938) La compagnie des chemins de fer, à laquelle la ligne était concédée, est rachetée par l'Etat le 18 novembre 1908. La ligne est donc incorporée au réseau de la Compagnie des chemins de fer de l'Etat. En 1938 cette compagnie fusionne avec la S.N.C.F. créée le 1er mars. Cette fusion s'accompagne bien sûr de la fermeture d'un certain nombre de lignes, et le 1er mars 1938, le trafic voyageurs est interrompu sur la ligne Caen-Vire alors que le transport de marchandises reste assuré. Même à la Belle Epoque du rail, l'approbation n'est jamais unanime. Parmi les opposants, il y a d'abord tous ceux dont le chemin de fer ruine le commerce : les transporteurs de marchandises sur route qui ne peuvent pas rivaliser avec le faible coût et la rapidité du train et qui ont vu réduire leur activité. A leur tour, relais de poste, hôtelleries, auberges, placés sur les grandes routes, ont en partie perdu leur clientèle. Dans les villages, le train est accusé de vider la campagne de sa population. Le voyage rendu plus facile, les jeunes villageois seraient davantage tentés de quitter leur vie monotone pour les attraits de la vie citadine. La fumée des locomotives noircit les façades, et les murs de bien des maisons se lézardent. Dans les campagnes, l'arrivée du rail a provoqué l'inquiétude de bien des paysans : champs coupés, parcelles enclavées, chemins d'exploitation perdus, expropriations mal vécues ... Des actes de sabotage sur les voies (pose de pierres sur la voie, tire-fonds desserrés ...) font la une des journaux et interrogent : s'agit-il de vandalisme ou d'opposants irréductibles ? - Les années de guerre (1939-1945) " En 1945, il y a eu les derniers trains de voyageurs. Je me souviens des convois de prisonniers de guerre qui étaient rapatriés. En 1943 les Allemands se sont servis de cette ligne pour le transport de charbon et d'essence à destination de la base aérienne de Carpiquet ..." Souvenir de Mme Labarbier ancienne garde-barrière à Mondrainville - Ouest-France 6 avril 1972 Après la seconde guerre mondiale, la section centrale entre Saint-Martin des Besaces et Jurques est totalement fermée. - Critiques et peurs (1945-1972) Le "tortillard" soulève des réticences de plus en plus vives : sur beaucoup des dernières lignes, le souci d'économies mécontente : les trains, de taille plus réduite, n'hésitent pas à emprunter des voies étroites posées sur la route ou la berme. Les trains, constamment en retard, emportent peu de voyageurs. On craint les accidents notamment avec les animaux. Des chevaux effrayés par le bruit du train s'emballent, le convoi peut percuter un vache ... Un signe révélateur : les paysans surnomment ces tortillards des "tue-vaques". La ligne Caen-Vire connaît aussi des drames comme l'accident survenu en 1954 à Saint-Georges d'Aunay qui précipite probablement la fermeture de la ligne. |
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2.
1972 : fermeture de la ligne Caen-Vire Le 3 avril 1972, les deux embranchements ferroviaires au départ de Caen et Vire ferment à leur tour. L'ensemble de la ligne est alors déclassé et déferré. |
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Depuis près de deux ans tout le monde s'y attendait. Le peu de
trafic ne pouvait que supprimer cette ligne de marchandises. C'est maintenant
chose faite, ainsi en a décrété un arrêté
ministériel : le train ne passera plus sur la ligne Caen-Aunay. Dans le temps, cette ligne se poursuivait jusqu'à Vire, en passant sur le pont de la Souleuvre (dont la suppression a soulevé de nombreuses contestations voilà deux ans). Avant- guerre, cette ligne connaissait un trafic intense : 115 trains par jour, aller et retour, voyageurs et marchandises. Mais les temps changent et depuis 10 ans, c'est l'agonie lente. Tout le monde sait que cela ne durera pas. Mais on n'y pense pas. Seuls les enfants vont comprendre que quelquechose est changé, comme eux j'étais fier qu'un train passe dans mon village ... Maintenant les enfants n'auront plus à courir pour voir leur train passer ... ... Samedi j'ai fait une adieu pour toujours au train de mon enfance. " Daniel ELIE (O.F. du 6 avril 1972) |
3.
Souvenirs, souvenirs Aujourd'hui, le train ne fréquente plus le monde rural, T.G.V. et trains rapides traversent la campagne mais ne s'arrêtent plus. Après la seconde guerre la ligne sera également fermée au transport des marchandises. Elle sera déclassée puis déferrée. Mais le souvenir de cette voie ferrée se trouve aussi dans les noms de lieux : - Il existe encore à Aunay-sur-Odon, comme à Verson, une "rue de la gare". - La Graverie conserve une "place de la Gare" et il existe un lieu-dit "la Gare" à Carville. - L'emprise de la voie ferrée a en partie été reprise par une voie verte entre Louvigny et Bretteville-sur-Odon. - Mais le site ferroviaire le plus connu est celui du viaduc de la Souleuvre, dont le tablier a été démonté pour des raisons de sécurité et dont une pile est aujourd'hui aménagée en base de saut à l'élastique. |
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Le viaduc de la Souleuvre hier ... | ... et aujourd'hui, base de saut à l'élastique |
Ce
viaduc, pont en granit , long de 364,20 mètres, a été
édifié entre 1887 et 1889 selon les plans du célèbre
Gustave Eiffel pour traverser la vallée. Ce texte est la quatrième partie du thème " J'entends siffler le train " qui comprend chronologiquement : 1. 1869-1886 " Le Bocage rêve de chemin de fer " 2. 1886 " Le cheval de fer à Parfouru " 3. 1906-1938 " Heures de gloire et déboires " 4. 1939-1972 " Agonie et fermeture d'une ligne " J-F Sehier / M. Lucas |